54

 

Le Président passa sur toutes les chaînes de télévision pour annoncer sa rencontre et les accords conclus avec le numéro un soviétique. Dans son allocution de vingt minutes, il révéla les grands axes de son programme d’assistance aux pays communistes. Il déclara également son intention de supprimer les restrictions concernant l’exportation de matériel de haute technologie à destination de l’Union soviétique. Il ne mentionna pas une seule fois le Congrès. Il parla des traités commerciaux avec l’Europe de l’Est comme s’ils avaient déjà été votés et il termina en promettant de tout faire ensuite pour réduire le taux de criminalité à l’intérieur du pays.

Les réactions dans les milieux gouvernementaux furent pour le moins virulentes. Curtis Mayo et d’autres commentateurs lancèrent des attaques acerbes contre le Président, l’accusant d’outrepasser ses pouvoirs. On alla même jusqu’à évoquer le spectre de la dictature.

Les parlementaires qui étaient restés à Washington se précipitèrent sur leurs téléphones pour rameuter leurs collègues et les inciter à regagner la capitale afin d’y tenir une session extraordinaire. En l’absence de leurs leaders, Larimer et Moran, qu’on ne parvenait pas à joindre, sénateurs et représentants des deux partis faisaient bloc contre le chef de l’exécutif.

Le lendemain matin, Dan Fawcett faisait irruption dans le Bureau ovale, les traits tirés, s’écriant :

« Enfin, monsieur le Président, vous ne pouvez pas faire ça. »

L’intéressé leva tranquillement la tête :

«. Vous faites allusion à mon intervention d’hier soir ?

— Bien sûr, monsieur, répondit le secrétaire général d’une voix tremblante. Vous avez pratiquement déclaré que vous alliez lancer votre plan d’aide économique sans l’accord du Congrès !

— C’est l’impression que j’ai donnée ?

— Oui, monsieur.

— Eh bien, c’est parfait, fit le Président en frappant du poing. Parce que c’est précisément ce que j’ai l’intention de faire. »

Fawcett sursauta :

« Mais c’est anticonstitutionnel ! Les privilèges de votre fonction ne…

_ Peu m’importe ! le coupa son interlocuteur, soudain furieux. Et n’allez pas essayer de m’apprendre comment je dois diriger ce pays. J’en ai assez de mendier et de transiger avec tous ces hypocrites du Capitole. Puisque pour obtenir quelque chose il faut se battre, eh bien, croyez-moi, je me battrai !

— Vous empruntez une voie dangereuse, monsieur. Ils vont se liguer contre vous et refuser de voter tout ce que vous leur proposerez.

— Non, ils ne feront pas ça ! hurla le Président en se levant pour se placer devant Fawcett. Le Congrès n’aura pas l’occasion de bouleverser mes plans. »

Le secrétaire général de la Maison Blanche était comme en état de choc.

« Vous ne pouvez pas les arrêter, ils rentrent tous à Washington pour tenir une session extraordinaire et bloquer vos projets.

— S’ils s’imaginent y parvenir, ils vont avoir une sacrée surprise », déclara le Président d’une voix que Fawcett eut du mal à reconnaître.

Le trafic matinal était encore pratiquement inexistant quand trois convois militaires entrèrent dans la capitale fédérale.

Tandis que les camions convergeaient vers le centre de la ville, des hélicoptères de transport de troupes se posaient devant le Capitole, déversant des sections de marines embarquées à Camp Lejeune en Caroline du Nord, une force de 2 000 hommes composée des unités d’urgence en alerte vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Ils se déployèrent autour des bâtiments fédéraux, firent sortir tout le monde des bureaux du Sénat comme de la Chambre des représentants, puis prirent position et interdirent les accès.

Les parlementaires et leurs assistants, stupéfaits, crurent d’abord à une évacuation consécutive à une alerte à la bombe. La seule autre explication logique était une manœuvre militaire impromptue. Lorsqu’ils apprirent que le siège du gouvernement américain avait été occupé par ordre du Président, ils réagirent avec vigueur, conférant en petits groupes indignés devant le Capitole. Lyndon Johnson avait bien menacé un jour de fermer le Congrès, mais personne ne parvenait à croire que c’était arrivé pour de bon.

Les hommes en tenue de camouflage, armés de fusils automatiques M-20, impassibles, refusaient de répondre aux questions. Un sénateur, bien connu pour ses idées libérales, tenta de franchir le cordon de troupes et fut brutalement repoussé.

Les militaires n’avaient pas investi les différents ministères de la ville. La plupart des administrations fonctionnaient normalement. Les rues étaient ouvertes à la circulation qui, réglée avec efficacité, était plus fluide que d’habitude, au grand plaisir des automobilistes.

La presse et la télévision débarquèrent. La pelouse du Capitole ne fut bientôt plus qu’un enchevêtrement de câbles et de matériels électroniques. Les interviews étaient si nombreuses que sénateurs et représentants durent pratiquement faire la queue pour exprimer dans les micros leur désapprobation devant cette mesure sans précédent prise par le Président.

Dans le pays, par contre, on réagissait plutôt avec un certain amusement. Les gens, installés devant leur poste de télévision, assistaient aux événements un peu comme s’ils étaient au cirque. On pensait en général que le Président cherchait tout simplement à intimider le Congrès et qu’il ordonnerait aux troupes de se retirer d’ici un jour ou deux.

 

Au Département d’Etat, Douglas Oates avait réuni Emmett, Brogan et Mercier. L’atmosphère était lourde et tendue.

« Le Président se trompe s’il s’imagine pouvoir aller contre la Constitution », déclara le secrétaire d’Etat.

Emmett se tourna vers Mercier :

« Je ne comprends pas comment vous avez pu ne pas deviner ce qui se passait.

- Il m’a complètement tenu à l’écart, se défendit le conseiller aux affaires de sécurité. Rien ne laissait prévoir une telle initiative.

— Je suis persuadé que Jesse Simmons et le général Metcalf n’ont rien à voir avec tout ça », réfléchit Oates à haute voix.

Le directeur de la C.I.A. confirma :

« Selon mes informateurs du Pentagone, le secrétaire à la Défense a clairement refusé de participer.

— Mais pourquoi ne nous a-t-il pas avertis ? s’étonna Emmett.

- Il n’a pas pu. Dès qu’il a eu exprimé son désaccord, le Président l’a fait placer en résidence surveillée.

— Mon Dieu ! murmura Oates. La situation ne cesse d’empirer.

— Et le général Metcalf ? demanda Mercier.

— Je suis sûr qu’il a élevé des objections, répondit Brogan. Mais le général est avant tout un soldat qui obéit aux ordres de son commandant en chef. En outre, le Président et lui sont de vieux amis. Metcalf se sent plus lié à l’homme qui l’a nommé chef d’état-major qu’au Congrès. »

Le secrétaire d’Etat pianota sur son bureau :

« Le Président disparaît pendant dix jours et quand il revient, il perd les pédales.

— Huckleberry Finn, murmura Brogan.

— A en croire le comportement du Président au cours des dernières vingt-quatre heures, les preuves semblent en effet s’accumuler, fit pensivement Mercier.

— Le docteur Lugovoy a-t-il été retrouvé ? demanda Oates.

— Non, répondit le directeur du EB.I. Pas encore.

— Nous avons obtenu des précisions à son sujet par nos agents à l’intérieur de l’Union soviétique, ajouta Brogan. Il s’est spécialisé depuis quinze ans dans les transferts mentaux. Les Services de renseignements russes lui ont fourni des fonds pratiquement illimités pour ses recherches. Des centaines de juifs et de dissidents qui ont disparu dans les hôpitaux psychiatriques du K.G.B. lui ont servi de cobayes, Il affirme avoir fait des découvertes capitales dans le domaine du contrôle et de l’interprétation de la pensée.

— Avons-nous un projet semblable ? demanda le secrétaire d’Etat.

— Oui, répondit le patron de la C.I.A. Son nom de code est « Sonde » et nous travaillons dans la même direction. »

Oates se prit un instant la tête entre les mains puis il se tourna vers Emmett :

« Vous n’avez toujours rien sur le vice-président, Larimer et Moran ?

— Non, avoua le directeur du F.B.I. d’un air embarrassé. Pas le moindre indice.

— Pensez-vous que Lugovoy se soit livré sur eux aussi à ses expériences de transfert mental ?

— Non, fit Emmett. Si j’étais à la place des Russes, je les garderais en réserve pour le cas où le Président ne répondrait pas comme prévu aux instructions.

— Son esprit pourrait échapper à leur emprise et réagir de façon tout à fait imprévisible, expliqua Brogan. Les tripatouillages du cerveau sont loin d’être une science exacte. On ne peut pas prévoir ce qui va se passer ensuite.

— En tout cas, le Congrès n’est pas disposé à attendre, intervint Mercier. Les élus cherchent un endroit où se rassembler pour entamer la procédure d’impeachment.

— Le Président le sait très bien et il est loin d’être idiot, répliqua Dates. Chaque fois que les membres du Congrès essaieront de se réunir en session, il enverra la troupe les disperser. Avec les forces armées derrière lui, c’est une situation sans issue.

— En considérant que le Président reçoit littéralement ses ordres d’une puissance ennemie, Metcalf et les autres généraux ne peuvent pas continuer à le soutenir, déclara Mercier.

— Metcalf refuse d’agir tant que nous n’aurons pas la preuve formelle qu’il est manipulé, précisa Emmett. En réalité, je le soupçonne de vouloir utiliser le premier prétexte venu pour se ranger aux côtés du Congrès.

— Espérons que ce ne sera pas trop tard, fit Brogan avec une expression inquiète.

— Il ne nous reste donc plus qu’à chercher à nous quatre un moyen de neutraliser le Président, conclut le secrétaire d’Etat.

— Vous êtes passé aujourd’hui devant la Maison Blanche ? lui demanda Mercier.

— Non. Pourquoi ?

— On dirait un véritable camp retranché. Les militaires sont partout. Il paraît que personne ne peut approcher le Président. Je doute que même vous, monsieur le secrétaire, y parveniez. »

Brogan réfléchit un instant.

« Dan Fawcett est dans la place, fit-il enfin.

— Je l’ai eu au téléphone, déclara le conseiller aux affaires de sécurité. Il a affirmé trop haut son opposition aux mesures décrétées par le Président et j’en déduis qu’il est maintenant persona non grata dans le Bureau ovale.

— Nous avons besoin d’un allié qui jouisse de la confiance du Président.

— Oscar Lucas, suggéra Emmett.

— Excellente idée ! s’écria Oates en levant la tête. En tant que chef des Services secrets, c’est sans doute lui qui a la responsabilité de la Maison Blanche.

— Il faudra mettre discrètement Dan et Oscar au courant de la situation, précisa le directeur du F.B.I.

— Je m’en charge, se proposa son homologue de la C.I.A.

— Vous avez un plan ? demanda Oates.

— Pas vraiment, mais on trouvera quelque chose.

— Le plus tôt sera le mieux, déclara Emmett avec gravité. Sinon les pires craintes de nos pères fondateurs pourraient bien se réaliser.

— Lesquelles ? fit le secrétaire d’Etat.

— L’inconcevable. Un dictateur à la Maison Blanche. »

 

Panique à la Maison-Blanche
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